Mail 17
Bonjour à toutes et à tous,
Veuillez excuser un si long silence, je me suis totalement immergé dans la vie de mon quartier à Carrillo, et je n’ai pas pris le temps de vous écrire.
Je suis parti lundi dernier de Carrillo, le cœur empli de tout l’amour que j’ai reçu et que j’ai donné… Sur mes joues les larmes traçaient leur chemin, le temps était venu pour moi de continuer le mien, et de partir rejoindre Remi puis l’Equateur, la forêt, l’Amazonie… et après le Pérou, mon cousin et Maëva…
Je vais essayer de vous faire ressentir le plaisir que j’ai eu à rester dans ce petit village, qui n’a rien d’exceptionnel, il y fait chaud, il y a beaucoup de motos, pas beaucoup d’eau, beaucoup de plastique, les enfants mangent des sucreries toute la journée… seulement… toutes les personnes que je côtoyais ont un cœur en or et ils m’ont accepté comme si je faisais partie de leur famille. Lorsque j’ai quitté Carrillo, ils étaient tous en larmes, les hommes, les femmes, les enfants,… et cela fait une semaine que je passe presque une heure chaque jour au téléphone, avec l’un, avec l’autre…
Pendant tout ce temps, j’ai continué les cours de français, presque tous les jours de la semaine… Mes élèves ont bien progressé, surtout Marla, les plus jeunes oubliaient au fur et à mesure, du coup je faisais des séances de révisions. En fin de compte il me semble que le plus important est qu’ils aient eu cet éveil à de nouvelles sonorités, cela ouvre une porte dans leur esprit. Qu’ils aient retenu 10, 50 ou 200 mots, peu importe.
J’ai aussi donné beaucoup de cours d’origami, j’ai même eu des commandes ! Pour les quinze ans d’une jeune fille, j’ai réalisé un globe multicolore qui explose en vol lorsqu’on le frappe, et il en sort quinze papillons de toutes les couleurs… J’ai fait plusieurs paires de boucles d’oreille aussi, je vous joins une photo.
Un jour nous sommes allé à la piscine, c’était une sacrée expédition. A 5000 pesos l’entrée, il a parfois fallu repousser parce qu’il n’y avait pas assez d’argent… D’ailleurs au moment de partir, Marla m’a dit que Sara allait pleurer, ne pouvant pas venir pour cette raison. Ni une ni deux, je l’ai fait monter sur mon vélo, je lui offrirai l’entrée. Nous sommes partis, certains à vélos, d’autres en voiture, une bonne quinzaine en tout. Au moins trois quart d’heure de route… pour trouver une piscine de 10 mètres à peine… mais les enfants étaient les plus heureux du monde ! Je ne suis presque pas sorti de l’eau, voir leurs sourires m’a comblé de bonheur. J’étais le seul à savoir nager ! Même les mamans (Viviana, Margin et Emir) ne savaient pas nager, elles voulaient me couler… Des cris, des rires, les yeux qui piquent mais le cœur réchauffé par tous ces moments de complicité…
Alors bien sûr, il y en a eu d’autres des jours comme celui-là, qui sortaient de l’ordinaire, mais je crois que le jour le plus simple me plaisait tout autant. Je vais vous faire le récit d’une journée à Carrillo. D’abord il faut que vous sachiez que j’ai dormi chez les parents de José pendant un mois et demi mais j’ai déménagé parce que José me réveillait en pleine nuit pour pouvoir rentrer dans la maison, ses parents ne lui font pas confiance pour lui laisser les clés ! Il me manquait de respect, fouillait dans mes affaires lorsque je n’étais pas là. Je vous passe les détails mais il est arrivé un moment où l’on ne se parlait plus, et j’ai décidé de partir, ses parents étaient désolés. Je suis allé dormir avec Bienvenido, dans son église. Il y dort pour surveiller la sono qui a de la valeur… Il m’a un peu adopté.
Ma journée type : je me lève vers 6 heures et demi, j’attends que Bienvenido se réveille à son tour en lisant. Nous rangeons mon lit dans un coin, lui ramasse son hamac, et nous marchons jusqu’au quartier où se trouve toute ma nouvelle famille (l’église est un peu excentrée). On se quitte, je vais chez Gustavo, où j’ai mis mes affaires (je ne laisse rien dans l’église), je prends une douche. On m’offre un café. On papote. Puis je retourne voir Bienvenido, on prépare le petit déjeuner, il m’apprend à cuisiner. En échange je lui apprends à écrire. Cet homme de 53 ans ne sait pas écrire, je vois dans ses yeux que c’est un petit traumatisme pour lui. Il me raconte son histoire, je l’écoute et mesure au combien je dois compter pour lui pour qu’il me confie cette mission.
Ensuite, je vais chez Viviana, la maman de Marla, Dayana et Valeria. Elle fait de la soupe tous les matins pour la vendre, tandis que son mari, Joselito, vend de la viande le matin à 20 km de là et fait moto-taxi le reste du temps. Le matin elle est seule à la maison, je lui rends visite, on discute. Arrive son père, une amie, un oncle. Ici les gens vont et viennent, on se raconte les histoires du jour, on partage un café ou un chocolat chaud. Je pars laver du linge, je fais quelques origamis, je prépare une activité pour les enfants ou je rends quelques services avec mon vélo. Son large porte bagages avant me permets de porter à peu près tout (voir photo). Lorsque je veux aider Viviana à faire la vaisselle c’est tout un drame, un homme ne fait pas ça ici, si les gens me voient passer le balai ils vont « parler », ils vont dire que Viviana ne tient pas sa maison, qu’elle n’accueille pas comme il se doit un invité. J’ai tout de même réussi à l’aider quelques fois !
A midi je retourne faire à manger avec Bienvenido, parfois Viviana ou Mayelis, la femme de Gustavo, m’invite à déjeuner. Les enfants rentrent de l’école vers midi et demi, cela nous laisse toute l’après-midi pour jouer, faire des origamis, et à 16h il y a cours de français. Le soir nous discutons, nous jouons aux cartes,… Je m’entends bien avec les femmes du village, Viviana, Emir, Glisselle, Margin, les hommes restent entre eux.
Un jour Rémi est venu me rejoindre à Carrillo ! C’était prévu mais je ne l’attendais pas ce jour-là, aussi, lorsqu’il est arrivé à Carrillo il a demandé « el francés », mais tout le monde ne me connaissait pas, le quartier où les gens me connaissent ne représente qu’une partie de Carrillo. Il a passé quelques heures avant de trouver quelqu’un qui l’a emmené devant chez moi. Quel bonheur ! Il est resté une semaine, et a pu gouter au plat typique de la semaine sainte : une espèce de tortue nommé icotea. Il a rapidement trouvé sa place: réparer un vélo, organiser un atelier montgolfière, nettoyer un jardin.. Il est un peu venu pour me chercher mais finalement il est reparti seul, voyant qu’il m’était encore difficile de quitter mon petit paradis. Il a acheté un vélo à Medellin, et lorsqu’il a été prêt pour voyager je l’ai rejoint.
Je vous raconterai une autre fois les baptèmes, les anniversaires, l’atelier lecture, le concours de poésie,… j’ai du mal à y penser sans verser une larme (ou plus d’une d’ailleurs)…
Après une petite semaine à Medellin pour préparer nos vélos, j’ai fait plein de changement, je suis à présent à Manizales avec Rémi, une grosse ville polluée que j’ai hâte de quitter. Nous partons tout à l’heure normalement, à vélo, en direction d’Armenia et de Pereira. Ensuite nous rejoindrons Cali, puis la frontière avec l’Equateur.
Je vous joins quelques photos, vous embrasse et vous souhaite une bonne soirée !