Bonjour à toutes et à tous,
Me voilà de l’autre côté de l’Atlantique, sain et sauf, avec plein d’anecdotes à vous partager et d’émotions à vous faire ressentir.
Le mercredi du départ nous avons fait les courses de légumes et de fruits frais. Ensuite ma mission fut de trouver de la musique Cap-Verdienne. Je me rends dans un premier magasin qui ne vend que des CD, à 15 euros l’un! Sans lecteur CD à bord, je demande si à tout hasard ils auraient de la musique en format mp3. Négatif. On m’indique une autre boutique, je m’y rend, toujours des CD, rien que des CD. On me parle d’un mec, sur la grande place du marché, j’y vais, c’est grand, il y a plein de monde, comment vais je tomber sur la bonne personne? Le hasard fait bien les choses, je repère un petit stand, le mec m’inspire, je lui demande, c’est lui! Il a de la musique sur son ordi et il est prêt à me remplir une clé USB! Je fais un rapide aller retour au bateau pour récupérer ma clé, et la lui tend. Il me demande quel type de musique du Cap-Vert je veux, « de tout » je lui répond. Une bonne demi heure plus tard, il m’a chargé au moins mille morceaux, et il me demande 3 euros! Mes efforts pour le trouver sont récompensés, j’ai hâte de découvrir tout ça!
Un dernier verre au bar de la marina, un dernier pas sur la terre, un dernier sourire du Cap-Vert, et nous voilà partis pour 17 jours de mer… Les premiers instants sont un peu euphorisants, nous partons pour l’inconnu, comment allons nous gérer l’éloignement, la promiscuité, la durée et les mouvements incessants du bateau?
Au bout d’une heure, c’est le drame, le pilote automatique ne marche plus… Jean-Louis et Éric avaient eu des problèmes avec lui en arrivant à Mindelo (alors que j’étais avec les pêcheurs) mais apparemment ils ne s’en sont pas souciés, je ne les trouvent vraiment pas sérieux! Le morale de l’équipage chancelle, une traversée sans pilote c’est épuisant, chacun doit tenir la barre 6 heures par jour. On fait cap vers l’île de São Antão, pour nous mettre à l’abri du vent, démonter la barre et le pilote. Résultat: la courroie est déchirée! Mais heureusement nous en avons une de rechange, le sourire revient. On trinque à la santé du pilote! Il marche, mais au bout d’une heure ou deux la mer est trop forte, la courroie saute de temps en temps, il faut reprendre la barre. Nous comprenons que la courroie que nous pensions neuve était en fait complètement distendue. Encore une fois je mesure l’amateurisme de ces deux marins que je pensais chevronnés, ils n’ont même pas acheté une courroie neuve avant de partir.
Les premiers jours ne furent pas de tout repos, la mer était agitée, nos estomacs chahutés, et il fallait barrer. Chaque jour nous ramassions sur le pont quelques poissons volants que le hasard avait mis sur notre route et cela agrémentait nos repas.
Au début il ne faut pas compter les jours, il en reste trop… il faut les laisser passer un par un, ils sont tous différents de toutes façons! Le ciel est tantôt bleu et clair, tantôt sombre et nuageux. Au petit matin le soleil nous offre une palette de jaunes, oranges, rouges, violets… qui s’efface en un instant, beauté fugace, éclair de génie. Bien que tous différents, les jours se déroulaient selon le même rituel, le petit déjeuner, la vaisselle, la barre, le repas de midi, la vaisselle, la sieste, la barre, la chaleur, le repas du soir, la vaisselle, la nuit, la barre en pleine nuit, et à nouveau le matin…
Mes rapports avec Éric et Jean-Louis étaient bons, au début en tout cas. Je ne cherchais pas à faire de vagues, Rémi et moi accomplissions docilement les tâches qu’Éric attendait de nous (cuisine et vaisselle), alors que lui se tournait les pouces et jouait au solitaire sur son ordinateur. Et lorsque c’est le dos qu’il avait tourné, nous avions cette chance de pouvoir se confier l’un à l’autre, et nous rigolions de la bêtise de notre incapable de capitaine.
Rémi et moi avions demandé à être l’un après l’autre pour les quarts de nuit, cela nous permettait de discuter un peu, de partager un verre de jus de fruits et d’admirer ensemble la voûte céleste au dessus de nos têtes. Une nuit, alors que Rémi venait de regagner sa couchette je me rends compte que le vent vient de tourner, je décide d’empanner (faire passer la baume de l’autre côté). C’est une opération non sans risque mais je me sens prêt, cela fait plus d’un mois et demi que je navigue, j’ai pris mes marques. J’appelle Rémi pour qu’il m’aide à la manœuvre, tout se passe bien. Sauf que Jean-Louis se lève et me dit qu’il fallait le réveiller, que c’était dangereux. Il n’évoque pas l’accident où Remi ou moi serions blessés, non, il me dit que si on avait fait tombé le mât cela aurait coûté 20 000 euros. Sympa! Il sait comme moi que nous n’allions pas faire tomber le mât de cette manière, je perçois chez lui l’agacement de certains professeurs qui se rendent compte que leurs élèves n’ont plus besoin d’eux. Désolés.
Dimanche, 4 jours après le départ, nous profitons d’une matinée sans vent pour démonter à nouveau la barre, Rémi et moi voulons tenter une réparation sur la courroie déchirée. Nous passons une bonne heure à la recoudre, alors qu’Éric s’impatiente. C’est le monde à l’envers, les novices qui réparent, les pros qui regardent et qui critiquent. Une fois la barre remontée, le pilote fonctionne à nouveau! Un merci du bout des lèvres, c’est tout ce que nous aurons, le pessimisme étant la religion de Jean-Louis, nous n’attendions rien de lui. Bref, nous avons profité de cet arrêt pour nous jeter à l’eau, quel plaisir! Je ne le sais pas encore mais ce sera mon seul bain de la traversée car le vent ne nous quittera plus. Pour nous rafraîchir nous remplissons des seaux d’eau de mer avant de les déverser sur nos têtes chauffées par le soleil tropical. L’eau douce étant précieuse, nous nous rinçons sommairement à la fin de la journée.
Mardi 2 Décembre, c’est l’anniversaire de Rémi, 50 ans, au milieu de l’Atlantique! Rémi nous prépare un gâteau à la banane, délicieux! Il nous remercie d’avoir accepté son invitation, nous rigolons bien! Quel décor insolite, on ouvre le champagne!
Le mercredi nous avons eu droit à quelques gros grains (comprendre: de la pluie). Pendant qu’ils prennent leur petit déjeuner à l’intérieur je suis seul à la barre, sous la pluie. Lorsque Jean-Louis vient prendre le relais, ils n’ont même pas fait leur vaisselle, je m’en occupe, surtout ne pas faire trop de vagues au milieu de l’Atlantique, il faut préserver un semblant de bonne ambiance même si le comportement des deux « marins » est inadmissible. Ils ne font presque jamais à manger, ne se mouillent presque pas les mains pour faire la vaisselle et ne participent pas aux réparations du pilote. Alors qu’ils prennent tranquillement leur café, je tiens la barre. Une fois qu’ils ont terminé ils veulent que nous démontions la barre, la courroie rafistolée à lâché, nous allons remettre la courroie distendue, c’est mieux que rien. Je dis à Eric que j’ai envie de prendre un petit café moi aussi, que j’ai besoin d’un quart d’heure. Il me dit qu’il veut qu’on s’occupe du pilote tout de suite, je ne cède pas, ça clache un peu, il mérite une bonne paire de claque.
Lorsqu’il pleut nous en profitons pour nous doucher sur le pont, l’eau de pluie (de l’eau douce!!) ruisselle sur nos corps, on se place sous la grand voile pour en récupérer le plus possible.
Un autre jour, je ne sais plus lequel (!), je répare à nouveau la courroie déchirée, j’ai une idée de couture plus solide, avec un morceau de voile pour consolider la réparation. J’y passe une bonne matinée, et nous la mettons en place quelques jours plus tard, le dimanche. Là encore, pas un merci, mais ce coup là elle tient bon, elle ne nous lâchera plus jusqu’à la fin du voyage. Comme le pilote est en mauvais état général, nous ne pouvons l’utiliser que lorsque la mer est calme, mais c’est déjà ça. Durant cette traversée nous aurons du barrer tous les jours, le pilote nous a servi une heure par ci une heure par là. C’est un petit exploit en soi, car nous avons consacré chacun 6 heures par jour pour barrer. En plus de cela, tous les matins nous hissions le spi, cette grande voile difficile à tenir, nous nous relayions durant toute la journée en faisant des quarts d’une heure pour faire avancer le bateau. Le soir venu, nous affalions le spi et les quarts passaient à deux heures.
Mon allié fut mon lecteur mp3! J’ai beaucoup écouté de musique, à la barre, allongé sur ma couchette. Cela permettait de s’évader un peu, et de ne plus entendre les voix de deux zigotos. Rémi faisait pareil!
Les réparations! Oui nous avons eu un peu de casse, et c’est Rémi qui est monté deux fois au mat pour réparer, il parait que la vue de là-haut est splendide!
La pêche! Comme d’habitude, lorsque c’est Eric qui s’en occupe, il fait des nœuds avec les bobines de fil et ses lignes cassent car il ne sait toujours pas faire les bons nœuds. Du coup, Rémi et moi reprenons les choses en main. Rémi défait les nœuds et moi je refait une ligne solide. Nous serons récompensés par une belle dorade coriphène de plus d’un mètre. Je m’occupe du découpage, car Eric ne sait pas faire ça non plus, il en fout la moitié à l’eau et découpe des morceaux pleins d’arêtes. Après deux bonne heures, c’est fini, il faut faire de la place dans le frigo. Là encore Jean-Louis lézarde sur sa couchette, il ne touchera pas une seule fois le poisson avec ses mains, ni pour le pêcher, ni pour le découper, ni pour le mettre au frigo, ni pour le cuisiner. Par contre, pour le manger il sera bien présent! Ça commence à bien faire, je fais une remarque à Eric à ce sujet, il m’a dit qu’il lui en toucherait deux mots.
D’un point de vue électrique, nous avons un bon bateau! Une éolienne qui fonctionne et deux panneaux solaires! Certains bateaux doivent allumer le moteur 3 heures par jour pour recharger les batteries, nous ne l’allumerons que deux heures pendant toute la traversée!
A 3 jours de l’arrivée, alors que nous passons à table, et que je leur tend des bols pour manger une salade riz, Eric fait une réflexion: « On est pas à Auschwitz, pour manger dans des bols comme ça ». Il sait très bien que je suis juif, mais cela devrait choquer tout le monde à mon avis. Jean-Louis répond en riant « Ils n’avaient même pas de bols ». Trop drôle. Je leur glisse « C’est de très bon goût, on va bien rigoler ce soir ». Pas une réponse. Cet épisode mettra un terme à la bonne ambiance que j’essayais de maintenir. Je ne leur parlerai plus, ils ne méritent que mon indifférence. Rémi jouera la carte du « tout va bien », et expliquera même à Eric que j’ai mal pris sa remarque, mais cela ne le fera pas venir s’excuser. Je passe le plus clair de mon temps allongé sur ma couchette, je ne me lève que pour mes quarts et les repas. J’ai hâte d’arriver.
15 jours, c’est le temps que nous aurons mis pour traverser. J’en garde un bon souvenir dans l’ensemble, même si j’aurai préféré un autre équipage, cela me servira de leçon. Lorsque nous voyons la Martinique, c’est un immense plaisir, et quelle excitation d’approcher cette terre que nous ne connaissons pas!
Nous mouillons au sud de l’île, plage de sable blanc et cocotiers. Rémi et moi montons au mat à tour de rôle, juste pour s’amuser! C’est impressionnant d’être perché à 10 mètres de haut sur un bateau qui bouge! Plus tard nous gagnons la plage à la nage et posons le pied à terre… Il y a des gens, des voitures, des boutiques,… le contact avec la civilisation se recrée, j’ai hâte de le couper à nouveau lorsque j’irai me perdre en Amazonie!
Nous reprenons la mer jusqu’au port du Marin, des centaines de voiliers sont là, au mouillage et sur les pontons, je n’en ai jamais vu autant. Vite, sauter du bateau, ne plus les voir ces deux là, respirer.
Rémi a deux amis qui viennent à la Martinique, il faut leur trouver un logement! C’est plutôt compliqué! Nous faisons le tour du village, et tombons sur Emmanuel. Il loue de gîtes, mais c’est bien trop cher. Son ordinateur ne marche plus, nous démêlons les câbles, et Rémi nettoie les barrettes de mémoire, ça remarche! Pour remercier Rémi, Emmanuel nous offre son gîte à prix libre, nous mettrons tous un petit quelque chose pour lui dans une enveloppe. Super, nous pouvons quitter le bateau, Rémi et moi allons chercher nos affaires, ils ne sont pas là, tant mieux, je ne sais même pas si j’ai envie de leur dire aurevoir. Nous faisons deux cartons de nourriture car il reste plein de chose! Nous sommes deux, eux aussi, nous partageons équitablement. Mais nous n’aurons pas le temps de tout charger dans la voiture d’Emmanuel, les deux zozos sont de retour. Il faut voir la tête d’Eric lorsqu’il découvre le carton de nourriture, il ne trouve pas ça normal! La discussion s’engage, c’est le moment de lui dire tout ce que j’ai sur le cœur, il en prendra pour son grade! Après trois quarts d’heure de palabres, nous partons, je me sens bien de les quitter. Ils me font de la peine en fait ces deux militaires de bas étage, ils voulaient jouer les chefs, donner les ordres qu’ils ont reçu toute leur vie, mais ils manquent de pertinence, d’intelligence et ne montrent pas l’exemple.
Après une belle nuit à la villa d’Emmanuel, les amis de Rémi veulent rejoindre le nord de l’île, c’est parti pour l’aventure. La forêt tropicale nous attend, et la douceur de vivre à l’antillaise!
Cela fait bientôt trois semaines que nous sommes tous les quatre dans le petit village du Prêcheur, au nord de l’île. Escapade dans la forêt, ascension du Mont Pelé, Noël dans un crique déserte, petits animaux trouvés et ramenés au village… vous saurez tout dans mon prochain message…
Je vous souhaite un beau réveillon ce soir, je vous embrasse,
Jonathan